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Extrait du livre Dis-moi, grand-papa | ||
de Carroll A. Laurin, Les Éditions Francine Breton Inc., 2005
Je me permets ici d'ouvrir une longue parenthèse sur ma participation à la Commission Médicale des Jeux Olympiques. Je serai tout d'abord membre de son comité antidopage. En effet, cette commission permanente luttant contre le dopage avait été mise en place après les jeux de Rome en 1967, à la suite du décès d'un athlète qui avait bu un litre de café dans le but d'améliorer sa performance. Les jeux de pouvoir et de coulisses m'ont initié aux inextricables magouilles en cours dans le merveilleux monde du sport (!) où se dessinent constamment les affrontements Est-Ouest (la guerre froide est alors à son apogée). Tout est bon pour déjouer les contrôles: substitution d'échantillon d'urine, falsification d'identité, dopage d'un adversaire... et quoi encore! Mais, mon rôle sera beaucoup plus vaste et étendu que la question du contrôle antidopage. La commission devra également contrôler... le sexe des athlètes. Car, hé oui, les apparences peuvent être trompeuses! Il y a encore bien plus à faire: prévoir les soins médicaux (pour les athlètes, les membres des fédérations sportives, les arbitres, les journalistes et les spectateurs, sans oublier les V.LP. internationaux et les membres du comité central des jeux olympiques), surveiller les diètes des athlètes au village, prévoir une clinique médicale et dentaire au village olympique, mettre sur pied des laboratoires modernes, anticiper une hécatombe possible avec la répartition de sinistrés dans divers hôpitaux, former des équipes de prélèvements d'urine aux divers sites de compétition, sans oublier les vétérinaires pour les chevaux.... Nous nous préparons assidûment et sans arrêt pendant quatre ans. La situation est compliquée par le boycott de dernière minute des pays africains ainsi que par la crainte de représailles contre les pays Arabes, suite à la boucherie de Munich en 1972 (le budget pour la sécurité sera triplé !) L'équipe médicale des jeux de Montréal se composera donc de: 260 médecins (omnipraticiens et spécialistes), 30 infirmières, 143 paramédicaux, 25 dentistes, 7 pharmaciens, 200 physiothérapeutes, 40 commis, 16 messagers, 96 chauffeurs, 500 préposés aux premiers soins de l'ambulance St Jean et 75 préposés aux prélèvements d'urine pour le contrôle de dopage. Il faut aussi planifier la distribution de ce personnel dans le village olympique ainsi qu'aux divers sites de compétition. Nous devons également intégrer nos activités avec celles des 270 soldats de l'armée canadienne qui se joignent à nous, à peine un mois avant l'ouverture des jeux. La participation de l'armée canadienne, sous les directives du général Gilles Turcot et de ses officiers, dont le lieutenant-colonel Georges Létourneau, était chargée du transport et restait en alerte pour répondre à toute urgence. Nous devions également préparer et réserver certaines chambres d'hôpital pour les chefs d'État (entre autres, un lit de sept pieds à l'Hôtel-Dieu pour le général De Gaulle et une suite à l'hôpital Royal Victoria pour accueillir la reine d'Angleterre et son entourage) Nous avons également aménagé une clinique d'urgence spéciale à l'hôpital Maisoneuve-Rosemont. L'aspect financier et organisationnel de cette structure est majeur. Il faut coordonner nos activités avec celles de la ville de Montréal, des services sociaux du Montréal Métropolitain, de la régie de l'assurance-maladie et du ministère des affaires sociales pour ne mentionner que les organismes les plus importants. Il faut informer, surveiller, et souvent contrôler les médecins d'équipes qui subissent également des pressions et participent parfois aux supercheries. Enfin, i1 ne fallait pas oublier les puissants journalistes, toujours exigeants et souvent très curieux. La tâche est sans fin; un problème est à peine réglé qu'un autre surgit. La tension augmente, 1a fatigue se fait sentir. Deux collègues décèdent; plus d'un font un «burn-out» et plusieurs se désistent. Le bilan final est cependant très positif. Malgré des accidents très graves et de nombreuses crises cardiaques, nous ne déplorons qu'un seul décès: un cheval à Bromont ! Il n'y a pas eu de tragédie qui aurait pu faire la une de tous les quotidiens du monde. Pourtant, une semaine seulement avant le début des jeux, une infection virale est venue bien près de nous forcer à tout annuler. Heureusement, nous avions prévu un épidémiologiste. Au grand soulagement du comité, le problème est réglé de façon rapide et efficace dans le plus grand silence. Le comité médical des jeux de Montréal innovera et réalisera des tâches qui avaient échappé aux organisations médicales olympiques antérieures. La réalisation la plus difficile et la plus significative nous avait été spécifiquement demandée après les jeux de Munich: le contrôle sûr et scientifique des anabolisants. Ce fléau était devenu évident durant les jeux de Munich, en particulier chez les nageuses de l'Allemagne de l'Est. La mise au point, à peine six mois avant les jeux, d'un tel laboratoire est une réalisation dont Montréal s'enorgueillit encore. Les résultats de ce laboratoire, sous la direction du docteur Robert Dugal sont si impressionnants, que ce même laboratoire servira durant les jeux d'hiver de Lake Placid en 1980. Les Américains faisaient confiance à notre savoir-faire et les échantillons nous étaient envoyés par hélicoptère. (Si nous étions fiers? Évidemment; ce n'est pas tous les jours que l'on peut en «remontrer» aux Américains!) Tous les spécimens d'urine sont rigoureusement soumis à trois tests d'analyse ; ces analyses, surtout pour la recherche d'anabolisants, étaient complexes et prenaient plus de 24 heures. Les résultats étaient donc dévoilés bien après la compétition. Si un test s'avère « positif », la commission peut recommander le retrait d'une médaille (c'est ce qui arriva, après la fin des jeux, concernant un haltérophile Bulgare - et ce sera ma dernière et bien triste tâche officielle à titre de directeur médical des Jeux Olympiques de Montréal). Quand on m'invite à demeurer membre permanent de la Commission Médicale des Jeux Olympiques, je refuse ; je ne voulais pas «volé» encore davantage de temps à ma famille, mes résidents et mes patients. Je n'ai jamais regretté cette décision. Pourtant, si l'occasion se représentait, j'accepterais d'y participer sans hésitation. Ce fut indéniablement une période très excitante de ma vie. Je fais maintenant partie du groupe Cojerie (un jeu de mots qui jumelle les mots COJO (Comité Organisateur des Jeux Olympiques) et causerie) qui réunit régulièrement les directeurs cadres des jeux olympiques de Montréal. Nous nous rencontrons tous les deux mois, recevant un invité de marque qui partage son expérience olympique avec nous.
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